jeudi 30 mars 2017

Escale 2


Vue de Kenadsa


J'ai peine à dormir. Le désert nous tient en éveil par sa vastitude.
Je soulève la tête et d'un regard je balaye le campement.
Michel et Jean-Marie se sont endormis sur leur couche.
Notre guide, Omar, est lui-même encore éveillé.
Il me fait un signe pour me dire de me reposer.
Les étoiles clignent, imperturbables.
Je finis par m'endormir.
Les premiers rayons de soleil nous réchauffent très vite.
Je me sens engourdi.
Nous reprenons la route après une collation.

Les questions sont presque imperceptibles.
Je ne sais plus penser.
La fatigue enveloppe mon esprit.
Nous arrivons à Kenadsa.
Nous voici gauches.
On nous reçoit avec beaucoup de déférence.
Un hôte est sacré.
Nous sommes noyés au sein des mouriddines, les aspirants.
Mes sensations sont exacerbées. Tout est effervescence. Tout se résume à une chose: comprendre, se comprendre.
Pourtant, nous ne savons pas vraiment formuler les questions.
Nous les savons en nous, nous savons que nous sommes à la bonne place, mais nous ne savons pas pourquoi.

Le soir même nous assistons à une "envolée" de prières et de litanies.
Le cœur est baigné de lumière.
Le Dhikr opère en une sorte de contraction et aussi en une réelle dilatation.
Les paroles sacrées ont le pouvoir d'aller très en profondeur et d'agir au delà du mental.
Il n'y a plus de place pour la raison.
Ni même pour la pensée. Tout semble se dissoudre.
Chaque balancement du corps nous donne à respirer au temps du souffle éternel.
Ces séances agissent sur les points subtils que recèlent nos canaux d'énergie.
Les vibrations enclenchent une sorte d'échauffement et l'on se sent envahi par une extrême douceur.
Ces vibrations nous parlent depuis le fond des âges.
Elles plongent si loin que nous ne savons plus rien.
Nous sommes en cette unité plénière.
Nous sommes comme effacés.
Nous sommes aussi à vivre la réalité du moment.
Après chaque séance, nous flottons.
Bien plus tard, j'ai compris que cette énergie est vivante et fait reculer notre ignorance.
Elle vient de l'origine.
Elle descend comme une amie bienfaisante et nous ouvre la porte de la conscience.
Elle nous offre cette opportunité de nous extirper des limbes de nos souffrances psychiques et de nous amener vers ce qui est caché. Car nous ne sommes certainement pas ces pulsions élémentaires, quand bien même cela nous apparaîtrait comme prodigieusement logique.
La logique est réduite à ce qui la motive, mais ne donne pas accès aux autres plans.
Nous ne savons pas que cette réalité est cachée et qu'elle est ce que nous sommes.
Tant que les voiles ne s'écartent pas, nous ne savons pas.
Sans doute, nous faut-il une vie entière pour saisir que la vie est une évolution vers une suprême Conscience.

C'est dans le désert que j'ai réalisé que j'étais seul face à Lui.
Le silence est presque étouffant.
La chaleur accablante.
Nous sommes harassés, mais nous sommes bien.
Nous ne comprenons pas ce qui se dit, mais nous nous laissons vibrer.
Michel sourit souvent.
Jean-Marie est rouge et transpire. Il m'avoue qu'il souffre terriblement de la température élevée.
Il passe son temps à s'éponger. Il souffle sans cesse et provoque l'hilarité de certains.
Dans le désert, le rapport à l'eau est une occupation constante. Nous n'avons pas idée combien c'est si facile pour nous d'ouvrir un robinet et de laisser l'eau couler comme une grande évidence. Michel, Jean-Marie, et moi avons dû nous adapter à la vie dans le désert. Je crois que ce fut la chose la plus difficile qui soit. Aujourd'hui, j'en ris. Nous étions très novices.
La vie sans confort est une leçon de vie, et nous donne à nous regarder de plus près.
Nous sommes "nous" plus que jamais.
Je veux dire, que nous sommes "nous" sans fioriture...
Mais, nous ne le savons pas non plus.
Il faut du temps pour se voir !

Philippe Safar

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire